LIVE NIRVANA INTERVIEW ARCHIVE September ??, 1991 - London, UK

Interviewer(s)
David Richard
Interviewee(s)
Kurt Cobain
Publisher Title Transcript
Rock & Folk Bang! Yes (Français)

Dans la ville de Boeing (Seattle), ils sont nombreux, les groupes qui explosent le mur du son. Dernier en date: Nirvana, sensation de l'automne.

Nirvana. Un nom qui résonne quotidiennement à Paris, ces jours-ci, dès que l'on parle rock. Un groupe qui, avec un titre, un seul, parvient à faire oublier toute la soupe hertzienne. Un album, un, sortant de leur déprime toute une brochette de rock-critiques en mal de défoulement soniques. Hourra Nirvana! We want you, doigt à l'ongle rongé pointé sur ces "mal fagottés" de service, look Detroit late-sixties de rigueur, une forte odeur de Budweiser éventée autour d'eux. La mère de Wendy, jeune anglaise de quinze ans, n'aime pas les gens de Nirvana et voit d'un mauvais œil cette affiche de concert annonçant leur venue prochaine en ville. Sa fille parle d'y aller avec deux ou trois copines depuis au moins trois semaines. Elle a entendu "Teen Spirit" à la radio et elle a aimé, la donzelle. Elle s'est acheté le compact immédiatement. Chez elle, depuis, c'est le western familial. Pauvres parents… les frères et sœurs en otage et les reproches à six-coups de la part de daddy. "Papa déteste le rock et tout ce qui en fait partie. Même les Beatles, il n'a jamais pu les encadrer et en veut encore à la Reine de les avoir décorés. Alors Nirvana, pensez-donc". Finalement, Wendy a bravé les interdictions, le vent et la pluie pour se rendre en compagnie de son boyfriend au festival de Reading. Et quelle baffe elle s'est prise, la Wendy! Waow! Nirvana, pour elle et une légion de comparses, c'est le foutu beat de leur génération à eux. Une déflagration sonique dont il serait injuste de les priver. A cet âge-là, c'est le genre de groupe dont on a besoin pour se coller des frissons et faire chier la terre entière. Et comme tout le monde en redemande, on a vite fait de les étiqueter "groupe intemporel". Pourquoi tourner autour du pot: Nirvana est un groupe de rock'n'roll, point… à la ligne. Avachi sur un canapé dans les locaux de MCA (London), Kurt Cobain (chanteur et lead-guitariste) regarde ses potes-musiciens entrer à la queue-leu-leu dans l'odieuse salle nicotinisée. Votre serviteur attend que ces messieurs soient installés. J'ai dans mon sac un sérum de vérité, deux seringues pour chevaux malades, des pinces braquées dans une salle de torture médiévale… et de quoi enregistrer - tout de même. L'attachée de presse nous gratifie d'un sourire on ne peut plus commercial, masquant difficilement sa francophobie. Ce n'est pas pour rien qu'elle a été aux services d'Andrew Eldrich (le chanteur des Sisters Of Mercy)… Hum.

Vous parlez beaucoup d'amour dans vos chansons… S'agit-il du même à chaque fois?

Kurt: Oh… C'est plutôt compliqué comme question (silence). Non, il ne s'agit pas du même, je crois. Il y a des fois où ça te démange là (il désigne sa braguette) et évidemment, l'amour n'a pas le même sens que lorsque tu passes des nuits blanches à penser à "l'autre". Quand ça te fait mal là (il désigne son ventre). Tu comprends à quoi je fais allusion, hein ? Quand tu as envie de tirer un coup, vite fait comme ça, c'est très différent d'une vraie histoire d'amour, celle que tu évites autant que tu l'espères. Sinon, il est parfois plus facile d'utiliser le mot "amour" qu'un autre pour exprimer une idée plutôt universelle. Tu peut dire "he" et "she" en voulant faire allusion aux USA et à l'URSS. C'est un couple, mine de rien (rires).

Dans "Teen Spirit", tu te dresses contre le manque d'idéal qui caractérise ta génération. Tu regrettes l'époque des marches pour les droits civiques aux USA et ce genre de choses?

Kurt: Non… ce n'est pas à cela que je pense. Mais franchement (rot), tu as constaté à quel point nous sommes mous! Nous, moi le premier, sommes incapables de nous révolter réellement contre quoi que ce soit. Désabusés. Voilà ce que nous sommes devenus. Fatigués avant d'avoir lutté. C'est pour ça que nous essayons d'être extrêmement violents sur scène, quitte à ce que ça ressemble à du n'importe quoi. Quand on lance nos instruments en l'air, que je m'effondre dans le "drum-kit", j'ai l'impression de me vider de mon apathie. C'est bon pour moi et j'ai l'impression que ça fait aussi du bien aussi au public, qui devient plutôt turbulent…

C'est très punk comme attitude, en somme.

Kurt: Ouais. Mais nous, on n'hésite pas à mélanger Jimi Hendrix aux Sex Pistols. Le fait que hard et punk se rejoignent est une bonne chose. J'ai toujours trouvé conne cette histoire de punks anglais clamant leur haine pour des groupes plutôt excellents comme Led Zeppelin…

Vous êtes de vrais "malade métal"?

Kurt: Pardon…?

Non rien. (rot). Vous avez choisi votre nouveau batteur parce qu'il rote beaucoup ou pour son jeu de batterie?

Kurt: Non (rot). Seulement, c'est le seul qui tienne le coup avec nous. Mais rien n'est sûr. Il peut craquer du jour au lendemain, ce petit. Il faut assurer, pour être le batteur de Nirvana!

Au début vous étiez sur Sub Pop. Maintenant, vous avez signé pour une major, Geffen. Alors?

Kurt: Alors on se sent très bien. Qu'est-ce que tu veux que je te dise? La même chose que des centaines de groupes qui ont suivi le même chemin que nous. Ca nous permet d'être connus dans le monde entier et de jouer un peu partout. On a enregistré "Nevermind", notre second album, sur Geffen, à LA en mai dernier. C'était bien d'avoir du temps pour le faire et de ne pas speeder comme pour le premier, où il avait fallu tout boucler en six jours. C'est sans doute à cause du temps supplémentaire qu'une chanson comme "Polly" a vu le jour (une balade acoustique contrastant énormément avec leur hard-punk de prédilection).

Oui, les Nirvana ont eu le temps de réaliser un bon album. Profitez-en. Il n'y en aura pas forcément d'autre l'année prochaine… par les temps qui courent. Bouffez-les, ils aiment ça. Parole de Judas.

© David Richard, 1991